« Un p’tit tour sous Paris, ça vous dit ? »
La proposition de Jo’ visait plus spécifiquement La Défense :

45 000 mètres carrés de boyaux, de galeries et de salles… vides !

Durant la construction du quartier d’affaires dans les années 60, un gigantesque souterrain fut construit sous le parvis, en vue d’une gare et d’autres projets. A l’exception de rares sans-abris, l’endroit est désert.

Rendez-vous à 00h00. Jo’ et Z garent leurs motos sur un parking et nous retrouvent, Sax et moi, en compagnie de Barbeblanche. Z… c’est Z et Barbeblanche, c’est ce type avec une casquette noire, un blouson noir et… une barbe blanche…
On passe discrètement devant le pc sécurité car, selon Jo’ : « Faut la jouer serein ! »
Mais 30 secondes après, il déverrouille une porte de service avec une clef spéciale et nous propulse dans des escaliers crème, sous la lueur blafarde des néons.

« Après trois galeries, on est introuvables ! » précise Jo’.
On trace.

Après trois galeries, nous voici dans la première grande salle. Difficile à filmer dans le noir alors pour vous donner une idée, on croirait un hall de gare. Tags, canettes, lampions et stigmates de squats, mais pas de vestiges d’une rave party. Les pompiers, visiblement, se pointent de temps en temps pour des exercices. Ils y oublient du matos… et des briquets !

Jo’ semble connaître les lieux comme sa poche. Partout, il sait où il se trouve sous terre et nous donne des repères à la surface. La grande salle a ses limites. Au bout, nous décidons de suivre un rail courant le plafond de béton, jusqu’à un premier escalier. Nouveau sous-sol. Nouvelle salle de détritus. Il y a des écoulements de flotte un peu partout et des déformations par terre. On manque de se casser la gueule, si on ne fait pas gaffe. Nous trouvons un autre hall de gare, que Jo’ traverse « sereinement », filant droit vers une minuscule trappe. Il l’ouvre :

Couloirs d’accès techniques !

« On a quitté le parvis, les mecs, précise Jo’. On va longer l’A14, je crois. »
Cette fois, c’est clair : si on se fait chopper, le week-end sera long. Le dédale de couloirs est impressionnant et on se perdrait facilement. Nous formons deux équipes et, puisque les téléphones ne passent pas et que nous ne voulons pas hurler comme des dingues dans ce labyrinthe de béton interdit, nous décidons de communiquer par lumières. On mettra trois quarts d’heures à se retrouver… Mais ça valait la peine :

« On a trouvé une cage d’escalier de l’A14 couleur disco ! » rit Barbeblanche.

Tout est vert. On change d’univers.

Une ancienne cage d’escalier de secours ? Nous l’explorons et donc, changeons d’étage. On commence à perdre toute notion d’espace ou de dimension. L’exploration est trop grande et les doutes de Jo’ se confirment quand Sax passe la porte d’un local technique d’un tunnel de l’A14 :

« Là, les mecs, je pense qu’on est complètement paumés ! »

On s’est tous regardés. On a rigolé.
Tout semble hors d’usage dans la station. Une porte nous remmène un étage en dessous, via un autre escalier de service. Ça donne sur un interminable couloir étroit, au milieu duquel un trou béant éventre la paroi. Nous découvrons des pièces en enfilades, où dorment de vieux stocks de magasines sur des palettes. Je me souviens que la distribution de presse en Ile de France avait un point de départ à 03h00, pas loin de l’hôtel Pullman…

« Qu’est-ce qu’on foutrait là ? » interroge Barbeblanche.

En même temps, on est dans une salle murée et je vous raconte pas le parcours d’accès. Quant aux journaux, vérifications prises, ils datent de 1997 ! Il est 04h10 et passé 06h00, nous pouvons commencer à redouter la sécurité. Le problème, c’est de retrouver la sortie. On se casse.

Escaliers. Couloirs. Escaliers. Couloirs.

– T’as une idée de l’endroit où on est, par rapport à la surface, toi ?
– D’habitude, tu demande vis-à-vis de la mer…

Après quelques pérégrinations, Jo’ parvient à retrouver la trappe d’entrée. Elle nous met un doute, mais la salle de sortie est identique.

On ne fera pas 20 mètres avant de s’apercevoir qu’
ON EST JAMAIS PASSÉS PAR LÀ !

Sax trouve un nouvel escalier, indiquant un parking (abandonné ?). Dans les salles les plus obscures, il faut faire très attention où l’on marche : parfois, il n’y a qu’une marche de 10 centimètres ; parfois, il y a un trou de 10 mètres… Il nous reste moins de 90 minutes pour retrouver la sortie : sans repère ni risquer de se blesser. Les sens sont en éveils. Dans un nouveau boyau, on se sépare en inspectant chacun les salles adjacentes. Z et moi trouvons une plaque d’égout et notre instinct nous guide 20 mètres plus bas. Tout le monde suit. Je parcours un conduit dégueulasse ou aucune tortue ne ferait de skate. Au bout, une échelle et des bruits de voitures… J’escalade.

– Putain, les gars… On est sous l’A14 !
– Ça fait loin de la bagnole, çà…

Z et Jo’ se mettent d’accord et Barbeblanche roule une clope : si nous sommes sous l’A14 à cet endroit, c’est qu’on est dans le bon sens. P’ t’ être bien ! Nous poursuivons, de salles en salles et trouvons l’ouverture qu’espérait Jo’, donnant sur l’un des premiers couloirs que nous avions emprunté à notre arrivée. Nous avons probablement fait un tour de fou bien au-delà de La Défense mais tout ce qui importe, c’est les bières et les bouteilles de rhum planquées dans l’une des premières pièces. Nous trinquons.

Nous ressortirons avant l’aube et presque sobres, sous les dernières lumières électriques de la ville.

Salut, camarades.