Cette semaine, nous la dédions à la cité des corsaires : Saint-Malo. Lundi dernier, nous vous montrions la grande marée venant briser ses lames contre les remparts. Aujourd’hui, nous vous devons un petit tour de la vielle ville.

L’entrée par la porte Saint Vincent est toujours saisissante. Dans le centre historique, la forteresse s’abrite derrière les remparts appuyés sur l’océan, où les étendards claquent aux vents, déployant haut et fier l’orgueil des hommes de mers. Bienvenue dans le vieux bastion au dédale de pierres, bienvenue dans le fief des corsaires…

Nous faisons un tour de la forteresse, nous ruant sur les petites marches qui mènent aux remparts. Les escaliers sont sales et étroits, puant parfois la pisse, sans doute comme au bon vieux temps. Les regards se perdent sur l’immensité couleur plomb et juste à nos pieds, les îlots de Petit Bé et Grand Bé. La promenade sur les murs d’enceinte est fascinante : où que l’on pose les yeux, l’Histoire nous appelle. A même la pierre, des marques, gravées avec précisions, nous laissent perplexes. La balade nous mène sur une plage, où Bonny (la chienne) se déchaîne, façon pilote de F1, sans se douter qu’à 350 mètres (par marée basse), sur Grand Bé, se dresse face à l’océan la tombe de l’écrivain aux célèbres mémoires : Chateaubriand.

Nous retrouvons les fortifications, empruntant le passage de la Poudrière pour admirer la statue de Robert Surcouf, l’illustre corsaire. Sur le fronton qui encercle la petite place, quelques canons. Peu importe qu’ils aient pu servir ou qu’il s’agisse de reconstitutions… Durant la grande guerre, les remparts furent épargnés par des alliés pas fortiches en cartes, qui bombardèrent sévèrement la vieille ville. Ce qui impressionne, ce sont ces monumentales pièces d’artilleries, lourdes, aux manœuvres improbables, tirant au coup par coup… Et qui pourtant, entre les mains de deux bons canonniers, faisaient mouches. Derrière nous, un géant, ancre aux pieds, le regard tranquille, sabre d’abordage dans la main gauche, pointe le Nord de la main droite :

Cpt. SURCOUF

S’il avait écouté ses parents, le jeune Robert serait devenu curé. Heureusement, à 14 ans, il a la bonne idée de mordre son prêtre instructeur au mollet pour mieux fuguer. Après 40 kilomètres dans la neige, il parvient à s’engager comme apprenti sur le Héron. Commence une histoire d’amour avec la mer, entrecoupée de temps de guerres. Durant toute sa carrière, Robert Surcouf donnera la chasse aux Britanniques (marchands ou militaires) sur tous les océans, bravant tous les dangers. A la fin de sa vie, Surcouf est un héros, un capitaine exemplaire, le plus important armateur de Saint-Malo mais surtout, c’est un ami, un frère et un père pour ses hommes d’équipage.

 

Après avoir noté quelques repères, nous quittons la statue du capitaine pour gagner les quais. Solidement amarrés, l’Etoile du Roy, l’Etoile de France, et le Renard se font chatouiller les ancres par les courants de marée.

L’Etoile du Roy (initialement Grand Turk) est la réplique d’un navire de la flotte de l’amiral Nelson, présent à la bataille de Trafalgar.

L’Etoile de France (anciennement Julia af Fäborg) est une goélette de 1938 servant aujourd’hui pour des tournages de films.

Le Renard fut le premier voilier armé pour la course par Surcouf. Il s’illustra lors d’un combat mythique face à l’Alphéa, une goélette britannique. Mythique parce l’Alphéa portait trois fois plus d’hommes, de canons et de munitions. Refusant de se rendre, les Français lancèrent l’abordage. Après des heures de combats effroyables – le capitaine du Renard y perdant la vie au passage – les Français parvinrent à couper la goélette anglaise en deux.

 

Avec un peu d’imagination, longer les trois navires, même depuis le quai, procure quelques émotions. Deux cents quinze ans en arrière, ce n’est pas si long. Oublions les quais et les remparts, prenons les palmiers de la jetée pour ceux d’îlots désolés, loin sur la mer salée. Et j’imagine entendre le sifflet résonner au large, à bord de la Clarisse – un « fameux trois mâts » qui fit naufrage, sept ans plus tard.

« Anglais en vue ! »

Les hommes se précipitent à bord dans un chaos parfaitement maîtrisé. Le commandant en second observe son chronomètre. Les bosseman virent les amarres des aussières avec une dextérité folle. L’ancre est relevée, les voiles, dressées :

« Parez à virer ! »
« Armez les canons des ponts un à trois ! »
« Préparez les batteries ! »

Sax me secoue. Je rêve debout.

Nous repartons vers le cœur de la cité : la cathédrale Saint Vincent. Son architecture est resplendissante. En s’approchant, on croise les vestiges de l’ancien cloître. Dès les premiers pas dans l’allée principale de l’église, une stèle vous arrête. Dessus, il est écrit : « ici s’est agenouillé Jacques Cartier pour recevoir la bénédiction de l’évêque de Saint-Malo à son départ pour la découverte du Canada le 16 mai 1535 ». On prend une grande inspiration.

Au fond de la nef, derrière l’autel, les grandes orgues semblent nous observer. L’église, très sombre, est traversée par des jets de lumières depuis ses vitraux. Sur les côtés se trouvent de grandes chapelles, presque privées et de petites alcôves, tout aussi sacrées : les tombes, stèles et autres monuments funéraires à la gloire d’héros passés : Jacques Cartier ; Robert Surcouf et l’amiral René Duguay-Trouin, corsaire du Roy, capitaine depuis ses 18 ans ! Une sommité de la marine royale française, lieutenant général des armées navales…

 

A la sortie, il fait déjà nuit. Nous reprenons la voiture, pour un dernier tour de ville, déjà prêts à repartir en Picardie.

Bonne chasse, camarades.