Seuls, au milieu de l’immensité, abrités par l’étendard noir claquant au vent. Les hamacs se balancent doucement autour d’un feu où la chienne joue gaiement. Seuls au cœur de la nuit, écoutant l’eau chanter entre montagnes et forêts. Demain, un trésor s’évapore.

Dos pliés et bras armés, les bottes s’enfoncent dans la terre molle quand elles ne dérapent pas sur les pierres humides. La fatigue accumulée trahit les sens, malgré des semaines de repérages, des mois de travail : à la moindre erreur, l’un de nous chutera encore. Pentes acerbes, petits pièges et paysages de rêves. Dévaler prudemment, grimper lentement, tomber six fois, se relever sept, contourner et avancer. Toujours avancer.

D’un pas à l’autre, plusieurs croix y mènent déjà. Sous un soleil de plomb et le visage fouetté par les branchages, l’ombre des trésoriers échoue pour la dernière fois sur un rivage isolé : « un petit val qui mousse de rayons. »*

Ils s’asseyent en silence, écoutant l’éveil du jour, regards perdus sur un crâne de bronze. A côté, un coffre, prêt à disparaître. La bête trempe ses coussinets pour les reposer avant de s’étendre dans la clairière. Entre deux bouffées de tabac, les forbans brandissent une pelle, une machette et s’échappent, avançant dans les secrets de la mangrove. Avancer. Toujours avancer, même en rampant.

Les silhouettes s’acharnent sur une marque, croisant le fer et la terre de toutes leurs forces. Entre eux, la chienne prend sa part, entamant le trou avec frénésie. Ils noient le trésor à grands coups, répondants aux hululements de chouettes inquiètes. La lame tranche les racines et éloigne la rocaille dans un concert d’enfer, sans espoir de répit. Jusqu’à ce qu’ils cessent, épuisés, pelle aux pieds, trésor en mains. Leurs ombres se redressent silencieusement, partageant un peu d’eau avant de reprendre les armes. Gestes cent fois répétés ; ils enferment le crâne dans son tombeau et l’immergent, pelletée après l’autre. Quand la sépulture n’est qu’à moitié recouverte, ils ouvrent une bouteille de rhum, échangeant quelques lampées avec elle…

Avant de le faire disparaître… à perpétuité ?

Les deux Frères regagnent le rivage, rêvant d’une courte éternité : les pirates n’enterraient pas leurs trésors à tout jamais. Ils dessinaient des cartes cryptées, des messages codés, destinés à eux-mêmes ou à des proches – supposés de confiance. Ils n’abandonnaient jamais. Tomber six fois, se relever sept, contourner et avancer. Toujours avancer.

Bonne chasse, camarades.

* Le dormeur du Val, Rimbaud