08:38 : Rencard devant le siège d’une chaîne télé : nous embarquons deux journalistes en reportage. C’est un lundi de fin août ; un lundi de pluie. Nous ressortons de douze jours entre le Sud-Ouest et le Midi, un peu cassés mais toujours émerveillés par les paysages avalés.

08:42 : Café clope avec les reporters : Romane au micro ; Mourad à l’image.

Sax note que ce sera notre premier voyage accompagnés. Normalement, nous n’avons que Bonny, la chienne, comme seul témoin. Normalement, nous gardons secrète notre précieuse feuille de route. Normalement, nous évitons de (vous) dire où l’on va.

08:54 : Départ !

11:00 : Bienvenue dans le Morvan : trois mille kilomètres carrés de forêts, montagnes et vallées, pris entre légendes, mythes et grands moments d’Histoire. Une couleur lumineuse traverse les massifs de Bourgogne où, arrivant par le Sud, Jules César s’immobilisa devant ces hêtres courbés, véritable rempart naturel dressé par les Eduens…

11:27 : Sax nous gare devant le pont sur la Cure. Il s’agit en réalité deux ponts parallèles – un grand et un tout petit, que les cinéphiles auront reconnu dans La Grande Vadrouille. On s’harnache et, le temps que Romane et Mourad se préparent, nous nous éclipsons discrètement vérifier un détail ou deux.

Si seulement deux interpellent, trois ponts figurent à cet endroit :

Le plus petit est le plus célèbre ; il aurait été achevé en 1770, probablement entamé par Vauban – dont la demeure est toute proche – et restauré en 1925.

Trente-trois mètres plus haut débute la construction d’une plus grande arche, en 1872.

Dans cette période et un peu plus loin derrière nous, caché par la végétation, un autre pont fut construit à l’endroit exact où passa l’armée romaine sous [tooltip title= »l’empereur Auguste ; héritier de Jules César »]Octave[/tooltip] : la Via Agrippa !

11:32 : Romane & Mourad sont prêts. Sax et moi échangeons un regard complice, pensifs. Du plus grand au plus petit. Du plus petit à la voie romaine. De Rome à ces anciens ponts. D’un point à un autre… Beaucoup de choses se bousculent dans nos têtes alors qu’approchent les premières questions.

Interviews passées, je cours dans les rochers et m’arrache les mollets contre les ronces de la petite falaise, afin de chronométrer un trajet envisagé dans le jeu de piste d’une énigme. J’arrive au sommet – éreinté – en moins de sept minutes. Bonny est passée sans problème. En bas, Sax ne m’entend pas sans talkie. Entre le trajet repéré dans nos dossiers et celui que je viens d’emprunter, rien ne colle. De plus, l’endroit précis qui nous intéressait semble particulièrement dangereux, vu de près. Quant aux distances et calculs établis au préalable, les premières vérifications cassent tous nos calculs, à peu de choses…

ZONE INVALIDÉE !

On garde le moral. C’est parce que la réalité du terrain bouscule régulièrement la théorie que nous passons notre vie à parcourir la France, relevant les bons chiffres d’un site à l’autre. Il nous reste le génie d’Agrippa, trop « sensible » pour oser l’aborder devant la caméra…

– C’était un bon site, juge l’un de nous en souriant.
– Il n’y a juste rien qui ne tombe juste, dit l’autre à côté des journalistes, oreilles tendues.
– L’endroit est idéal pour bivouaquer, cela dit : on repassera ?

Sax et moi avons un sourire : évidemment, qu’on repassera !

12:17 : Nouvelle interview avant départ. Bonny, qui a compris que la caméra était le centre des attentions, traîne entre les pattes de Mourad comme si elle voulait être filmée.

12:22 : Départ.

12:38 : Les JRI suivent toujours !

12:55 : Arrivée aux gorges de Narvau, à l’ouest de Lormes. Nous posons les véhicules sur un petit espace dominant la vallée encaissée, où coule l’Auxois depuis une cascade. Le chemin de randonnée est un peu abrupt : bienvenus en Gaule ! C’est par ces chemins, souvent compliqués d’accès, que passèrent cohortes et légions, cernées par des hordes de guerriers tapis dans les feuillages d’une forêt dense. C’est aussi ici, que s’écrivit l’Histoire de notre pays.

Nous visons la cascade et ses dessous. Un vent violent prévient la tempête qui nous tombera dessus ce soir. Des branches s’arrachent de la cime des arbres par paquets de douze. Romane protège son micro, Mourad sa caméra, Bonny tombe à l’eau et une GoPro avec – indestructibles, ces machins-là. J’entame l’ascension de la cascade… par la cascade. Il y aura sans doute plus simple mais c’est par là que nous souhaitons la voir – où qu’il faudra la voir. Rien ne ressort de ma petite escalade ; ni creux ni caches. Je redescend, maussade : c’est le genre d’endroit magnifique, plutôt touristique, qui nous obligerait encore à travailler de nuit.

En contre-bas, j’aperçois les JRI en positions : Mourad accroupi ; caméra ras du sol ; Romane derrière lui, en protection d’éclaboussures ou de chutes de branches. Et Bonny pile devant, face caméra, qui fait sa star.

Sax enjambe l’Auxois pour rechercher la grotte des fées. Je fais un point avec les reporters, avant de le rejoindre. Au pied du mur d’escalade, on s’interroge. La dernière fois que nous étions face à quelque chose comme ça, le site était plus grand et plus sauvage encore. Quant aux calculs, de Pierre Perthuis aux Fées, force est de constater que « nous ne sommes pas dans nos clous » (du point de vue de l’énigme en préparation)…

13:27 : Pause : il faut se sustenter.

13:31 : Mourad m’apprend qu’il a vécu à Bouaké : « Le monde est petit aux oiseaux voyageurs »…

14:09 : Le ciel redevient menaçant et le vent, puissant.

15:04 : Arrivée au saut du Gouloux : une belle cascade d’une dizaine de mètres avec plusieurs caches potentielles et bordée par les ruines de moulins. Le bassin dans lequel se jette le Caillot n’est profond que de quelques centimètres : éclaboussures ; humidité ; et averse immobilisent la caméra. On file seuls, le long des pierres de mousses, se fiant au son de l’eau qui coule avec fracas.

15:41 : Avons abandonné nos JRI depuis une bonne demi-heure, stop. Sommes absolument trempés, stop. Pluie néanmoins sur le point de cesser, stop. Avons effectué cinq relevés utilisables, stop. N’avons pas trouvé de cache potentielle, stop. Et quand bien même fût-ce le cas, le révèlerais-je ici ? Stop.

15:47 : Nous retrouvons les journalistes près des véhicules, prêts à repartir. Le rythme, les imprévus, les conditions météos… Rien ne doit ni ne peut arrêter la chasse aux trésors de Levasseur.

16:02 : Sauf les arrêts improvisés par Romane & Mourad, pour plans de coupe.

16:04 : Entre trois plans, Sax repère une alerte météo sur la zone où nous avions prévu de bivouaquer. Au menu, ce soir : avis de tempête !

16:13 : Plans terminés. On attend la voiture des JRI, que l’on devine dans le rétroviseur.

– « Il y a 160 kilomètres d’ici à Chicago lance Sax avec emphase, nous avons un réservoir plein d’essence, un demi paquet de cigarettes, il fait noir, et nous portons des lunettes noires…
– En route. »

Sax conduit. Je vérifie. Pas d’orage. Pas trop de pluie. Mais des bourrasques de vent jusqu’au cœur de la nuit…

16:19 : Nous ne sommes plus qu’à quinze minutes de la zone de bivouac mais nous arrêtons le véhicule des JRI pour un changement de programme de dernière minute :

« Ça va souffler beaucoup trop fort, là où on voulait dormir ce soir. On pense s’arrêter dans un coin plus abrité, en forêt. »

16:23 : Nos journées commencent tôt et finissent tôt. A moins de rechercher les surprises ou une nuit en enfer, il est préférable de commencer à rechercher son bivouac entre 16 et 18h.

Romane et Mourad placent leur caméra et préparent leurs interviews de fin de journée tandis que nous installons l’essentiel pour nous reposer. Avant tout, nous débriefons la journée et préparons celle de demain, les yeux posés sur une carte. Nos cartes et documents débordant de détails précis et « top secret », nous ne les filmons pratiquement jamais. Etrange sensation donc, que d’en étudier une avec un objectif par dessus l’épaule… Car on devine Mourad, un peu plus loin, visage collé à son œilleton. Il n’échappe pas non plus à la comédie de Bonny, qui danse et joue devant l’objectif.

Discrètement, Sax m’indique un angle sur la carte et faisant référence à des chiffres relevés sur la Cure :

– On n’est pas bons, là. On tombe juste à première vue mais en fait…
– Attend, dis-je en prolongeant sa diagonale sur nos étapes du lendemain. Ça va aussi dépendre des remparts de hêtres et du mausolée.
– Ouaip’, donc si demain ça colle, on efface Perthuis et Narvau de l’énigme ? Du moins, physiquement…
– Que ça colle ou pas d’ailleurs.
– Mais on peut les garder dans le théorique, selon les résultats de demain…

On se tape sur l’épaule avant de replier la carte, un peu plus rassurés pour l’énigme en construction et déjà concentrés sur la prochaine journée.

17:49 : Ça sent bon la fin de journée.

Romane et Mourad se rapprochent pour un petit rhum de pirates. Entre trois confidences « en off », ils nous rassurent en affirmant n’avoir pas tout compris à nos calculs : tant mieux – même si la chasse n’est pas qu’une affaire de maths ! Comme ils nous questionnent d’avantage, nous sommes prudents : pour comprendre, il faudra lire, sans doute relire, analyser et se mettre à la place de. En fait, vivre une véritable aventure de pirate.

Le temps est capricieux et les coups de vents, brusques et erratiques. Tous deux s’étonnent de nous voir prêts à dormir là, mais remarquent que la clairière reste protégée par les rangées d’arbres qui nous bordent.

« Il ne faudrait juste pas qu’un orage se pointe par dessus, sourit Sax. Ça nous obligerait à déguerpir en vitesse pour ne pas prendre la foudre. »

Les JRI, qui ont un hôtel, se marrent. Nous un peu moins.

18:42 : Nos flibustiers d’un jour demandent la permission de quitter le bord.

18:43 : Bonny, Sax et moi raccompagnons Romane et Mourad jusqu’à leur véhicule et de là, vers le sentier qui rejoint la route. Nous aurions aimé les garder à dîner – il y avait du bon vin, camarades ! Bonny les poursuivra quelques secondes, absolument déconfite de voir s’en aller la caméra et les amis qui allaient avec.

20:17 : La tempête s’est estompée. Dîner sous les étoiles, prévu pour quatre :

  • Pâté de campagne au piment d’Espelette, à deux.
  • Saucisson de taureau, à deux.
  • Chipolatas, à deux.
  • Pommes de terres sautées au poivre, à deux.
  • Quatre-quarts et crème de marron, à deux.

Bon appétit et bonne chasse, camarades.