Temples d’Angkor :

Situé au nord-ouest du Cambodge, le temple d’Angkor Vat est le plus grand monument religieux de la planète. Autrefois, près d’un million de personnes vivaient dans la capitale d’Angkor, où une centaine de temples furent érigés sur trois mille hectares : des temples-montagnes, bâtis en l’honneur des dieux et probablement liés à l’après-vie des souverains. Une immense civilisation, riche et raffinée dont l’âge d’or dura six siècles et qui régna sur toute l’Asie du Sud-Est.

Comme Rome avant lui, l’empire Khmer s’est effondré sans laisser d’autres explications ni témoignages que ses ruines, nombreuses, aujourd’hui englouties dans la jungle du Cambodge…

Jour 0 – Pub Street

16:00 : Atterrissage à Siem Reap, où se trouve la plus grande cité médiévale du monde et son temple éponyme : Angkor Vat. Un temple Etat servant de capitale à l’empire, construit par le roi Jayavarman II près du grand lac Tonle Sap.

Malgré six siècles de domination complète, on ne sait que peu de choses de l’empire khmer. Leur maîtrise de l’eau est l’une des rares certitudes archéologiques : la capitale s’était dotée d’un système hydraulique aussi complexe qu’élaboré, évacuant les eaux et irrigant les rizières. Les vestiges des bassins récoltant l’eau de pluie (baray) sont d’une taille phénoménale : le plus grand mesure huit kilomètres de long pour deux de large.

16:27 : On ne se lance pas dans l’aventure des Temples après 15h… Direction Pub Street. C’est la « street num. 8 » ; une rue centrale, une voie principale autour de laquelle s’articule une foule d’axes, de ruelles et de petits passages, d’échoppes ou de restaurants, qu’on appelle tous « pub street ». La réalité, c’est que chaque chaussée à son nom ou son numéro, mais la ville se développe si vite que les cartes et Google ne sont pas à jour. C’est le centre névralgique de cette ville à touristes en expansion, qu’est Siem Reap. C’est amusant de penser que la ville a doublé de volume en seulement cinq ans, quand on sait qu’Angkor fut en son temps la cité la plus étendue et la plus peuplée du monde.

Pub Street ressemble à un point de passage obligatoire pour les fêtards (et les routards) du monde entier. Tous les dix mètres, on nous saute dessus pour nous proposer des massages, des restos, des ballades, des plans pour le lendemain ou des babioles… Le tout, c’est de naviguer entre « oui » et « non » avec le sourire… Ici, tout est sourire : même les statues des temples sourient.

Nous faisons la rencontre de Tù, chauffeur de Tùk-Tùk drogué au Fast and Furious et complètement allumé. Drôle, prévenant et sympathique, il sera notre chauffeur de nuit en titre, le temps du séjour. Rendez-vous est pris pour chaque soir, sur Pub Street.

Jour 1 – Ça ne rigole plus !

05:30 : Matelots sur la passerelle avec les yeux qui collent. Depuis que nous avons démarré la chasse aux trésors de Levasseur, nous avons rencontré des conditions parfois pénibles : tempêtes, inondations, trek sous cagnard… De joyeux souvenirs, lorsque l’appli météo nous annonce une journée à trente-cinq degrés.

05:50 : Nous quittons l’hôtel, chauds comme la braise.

Septké, le Tùk-Tùk du matin, nous emmène dans l’ancienne capitale khmer, expliquant que les terrains avalés par la mangrove que nous traversons étaient autrefois remplis de baraques en bois. Le site d’Angkor est balisé, avec un parcours (facultatif) qui démarre par le symbole national ; l’emblème sur l’étendard – que même les Khmers Rouges conservèrent. Le monument que tous les Cambodgiens disent « avoir dans leur cœur » : Angkor Vat.

Le plus sophistiqué et le plus grand édifice religieux du globe nous fait face, à sept cents mètres. Il est si grand, si imposant, qu’on croirait être devant. Il faut pourtant marcher dix minutes, traverser le pont enjambant le grand bassin rectangulaire servant de douves au temple d’Etat, puis continuer sur l’allée centrale au milieu des jardins, avant de fouler les premières marches sacrées. Où nous n’entrons que dans un premier bâtiment, en forme de quatre carrés parfaits, qui précède le véritable temple.

06:48 : Un attroupement de touristes s’amuse à nourrir un singe qui aimerait grignoter peinard. D’habitude, nous y aurions perdu une demi-heure, nous aussi, mais il y a tant à voir. D’abord brahmanique, l’empire khmer adopta le bouddhisme mahãyãna (l’un des sept véhicules du bouddhisme) à partir du XIVe siècle. Ce qui laisse aux temples une saveur particulière de mélanges religieux, historiques et culturels. Comme il fut conçu pour rendre hommage à Vishnou, Angkor Vat imite le mont Méru : la demeure des dieux.

L’histoire de l’empire khmer – que l’on devine glorieuse – est pleine de trous, que l’archéologie cherche à combler. Une théorie suggère qu’à l’instar des pharaons égyptiens, les temples khmer avaient également une fonction divine, liée à la vie du souverain dans l’au-delà. C’est ce qu’indiqueraient les bas reliefs de la galerie des cieux et des enfers, à lire dans le sens du prasavya, et où l’on pouvait voir le roi et sa cour se présenter devant Shiva. « Pouvait », car au début du XXe siècle, des pans entiers de la galerie se sont détachés…

En 1586, le moine portugais Madalena – premier visiteur occidental à découvrir le site – écrivit :

« C’est une telle construction extraordinaire qu’il n’est pas possible de la décrire sur le papier. D’autant plus qu’il n’est pas comme les autres bâtiments du monde. Il a des tours, des décorations et tout le raffinement que le génie humain puisse concevoir. »

Une explosion des sens pétrie d’émotions qui ne nous lâcheront plus. La découverte du temple se fait au rythme de l’émerveillement : entre précipitations et envies de tout voir de ces grands ensembles, bien que cela soit humainement infaisable. Pas plus qu’il n’est possible de percevoir toutes les infimes subtilités, les minuscules fresques et autres luxes de raffinements. L’allure est lente. Nous en avons le souffle coupé. Nous tâchons d’en faire le tour, à chaque pas un peu plus éblouis par la somptuosité des lieux. A chaque regard, un peu plus ratatinés face à l’immensité.

L’ascension de la tour principale se fait au tempo des touristes terrorisés par l’escalier raide. Sans parler de ceux qui se font refouler l’accès au mont Méru, parce que trop dévêtus. Pas de jupe, de bras nus ni de décolleté : la piaule d’un dieu, c’est pas « la cantine à Jo le clodo ». Mais au sommet d’Angkor Vat, c’est l’extase, le nirvana. Ici comme ailleurs, des carrés arrachés par les pilleurs manquent sur certains bas-reliefs. Nous lirons plus tard que ces vides correspondent à des scènes comportant des inscriptions indiquant l’emplacement du trésor de Suryavarman II. C’est l’armée thaïlandaise qui les aurait retirés…

Au centre de cette grande tour principale, un sombre emplacement, telle une grotte sculptée, abrite une statue de Bouddha. Sur tous les angles de la tour se trouvent de larges balcons finement sculptés et qui offrent un panorama époustouflant sur toute la cité de l’empire, engloutie dans la jungle. D’ici, le souverain dominait sa cité. On distingue quelques temples et les toits de pleins d’autres, dépassant de la canopée. Nous voyons surtout les immenses bassins pour capter l’eau de pluie et leurs bras de dérivations, vers le grand lac ou les rizières. Comme Rome en son temps, la capitale de l’empire reposait essentiellement sur une parfaite maîtrise hydraulique. La référence ne s’arrête pas là puisque les historiens pensent que c’est l’effondrement de ce système (ici provoqué par des moussons trop importantes) qui provoqua la chute de l’empire.

C’est cet empire millénaire, s’étendant à perte de vue et presque toujours debout malgré la mangrove, que nous contemplons du sommet d’Angkor Vat !

11:00 : Nous redescendons (prudemment !), des images plein la tête. Eut égard à ses dimensions, le simple fait de quitter Angkor Vat prend du temps. Au passage, nous admirons les grands escaliers des angles, aux symétries impeccables, cernés par des pelouses éblouissantes sous un soleil brûlant. Nous prenons la direction du Baphon, à dix minutes à peine. Son attraction principale, c’est son Bouddha couché de soixante-dix mètres, fait de milliers de blocs de pierres par des moines au milieu du XIe siècle – et restauré en 2012. La statue n’étant véritablement perceptible que dans un angle, nous fûmes plus enflammés par nos crapahutages improvisés sur des ruines voisines… A la sortie du Tep Pranam, nous tombons sur un Bouddha géant de pierre, assis sous un arbre. Autour, trois vieilles dames nous alpaguent pour que nous bénir. Sans se faire prier, mesdames.

Tep Pranam, Phimeanakas, Preah Pithu… Difficile de retenir tous les noms des temples et de définir chacun d’entre eux, lorsqu’on ignore, non pas un pan de l’histoire d’une civilisation mais pratiquement tout, depuis ses origines. Nous nous échappons finalement par la terrasse des éléphants, d’où le roi supervisait les défilés, les parades, les fêtes et certains rites sacrés. Comme on s’y prend mal, nous nous retrouvons bloqués vingt minutes dans les fausses douves qui cernent cette terrasse. Un labyrinthe d’un mètre de large et où les murs frisent les quatre ou cinq mètres de haut, décorés de centaines de petites statues d’Asparas et autres divinités.

Midi : pause déjeuner, déjà épuisés. Nous invitons Septké, notre driver. Ancien agent de sécurité reconverti en chauffeur de Tùk-Tùk, c’est un gars fort et fier, souriant peu mais chez qui on devine une constante envie de déconner. C’est lui (contre commission) qui nous a trouvé le boui-boui où nous nous tapons la cloche. Les mets sont délicieux. On rigole dans un anglais approximatif, on bouffe comme des chancres et lui quittera finalement la table sans dire merci.

Aujourd’hui, j’me demande toujours ce qu’on a bien pu dire…

Jour 1 – Suite

13:59 : Nous prenons la route du Bayon, le temple aux mille sourires construit, comme Angkor Vat, par Jayavarman VII. Bien qu’il lui ressemble, le Bayon n’est pas le « temple de Lara Croft ». Depuis le film, tout le monde connaît cette image de temple khmer oublié dans la jungle et traversé par des racines ou des troncs d’arbres, poussant n’importe où de façon erratique. Ça c’est Ta Prhom, que nous verrons plus tard…

Le Bayon n’en est pas moins impressionnant : nous arrivons devant quatre tours en encadrant une cinquième, au milieu, bien plus grande : la tour centrale. Toujours la même architecture, simulant le mont Méru. Au sommet de toutes et sur chaque face, d’immense visage de bouddhas sculptés dans la pierre sourient au monde. J’escalade l’une des tours extérieures, pour mieux mesurer les dimensions de ce temple étiré vers le haut. Le Bayon fut la capitale de l’empire à une époque. Il incarne le summum de l’art bouddhique mahãyãna. L’intérieur est resplendissant, malgré une pénombre omniprésente, parfois entrecoupée d’aveuglants jets de lumières, qui passent entre les briques effondrées. Le temps d’un battement de cil et je me retrouve face à un gigantesque visage, surgissant de nulle part entre les ruines, un sourire paisible, éternel, sur ses lèvres.

Un incroyable édifice, dans lequel on se perd facilement. Si les statues et bas-reliefs sourient autant, c’est peut-être aussi parce qu’il s’agit du premier temple dont les sculptures relatent le quotidien khmer de l’époque, au lieu des traditionnelles épopées divines ou militaires… Bon, on y retrouve tout de même quelques récits de batailles à grands coups d’éléphants dans la gueule de l’adversaire.

15:05 : Au sortir, nous nous perdons à nouveau dans la jungle. Sans notre driver Septké, nous ne pourrions pas nous retrouver. Avec son air sérieux de garde du corps, il nous entraîne ailleurs, empruntant les portes géantes de la cité (les seules fortifiées), avalées par la végétation. Nous longeons une rivière dans laquelle sautent des dizaines de singes qui se tirent la bourre entre eux, amusant les touristes au passage.

16:11 : Nous voici arrivés à Ta Prhom. Si Hollywood a souhaité tourner ici, c’est à cause de l’étonnant spectacle des fromagers épousant les murs de ces ruines et s’immisçant dans la pierre jusqu’à sembler l’étouffer. Ces arbres, qui font parfois la taille d’un immeuble de dix étages, offrent aux ruines une atmosphère de temple maudit ; de temple mystique, un peu magique.

Pour bien nous figurer la chose, nous nous imaginons New-York City dans X siècle(s), abandonnée au réchauffement climatique et aux façades englouties par la végétation… Partout sur les pierres retapissées par une mousse proliférante, d’incroyables statues et bas-reliefs ornent les murs. Par endroits, les fromagers s’étirent comme d’imposantes toiles d’araignées. Et ces prodigieuses tours écartent les branches, s’élancent vers le ciel et échappent finalement à cette jungle, pour mieux la dominer.

Angkor vit toujours.

Le parcours (balisé) est assez long. D’autant que l’on stoppe sans cesse pour mieux admirer la beauté du lieu et, pour retrouver un peu de calme, essayer de fuir les groupes de visiteurs qui hurlent au lieu de se parler – de vraies oies sauvages ! Au milieu du temple, une pierre que l’on retrouvera dans beaucoup d’autres : un pilier d’un mètre cinquante de haut, sur lequel est scellé une sorte de grosse brique. L’ensemble donne l’impression d’un présentoir divin, semblable à celui sur lequel Indiana Jones vole la statuette en or… J’apprendrai plus tard qu’une fois par an et dans cet espace précis, un citoyen de l’empire donnait sa vie à la place du souverain, en sacrifice.

Nous longeons les murs de longues heures, nous engouffrant dans les passages le permettant et escaladant ces vestiges impressionnants. Au dessus de nos têtes, des singes crient et dansent d’une branche à l’autre, dans ces frondaisons qui recouvrent presque intégralement le temple…

Le soleil se couche doucement et la lumière change déjà, devenant plus belle. Les murs du temple sont tapissés par ses tons orangés. Nous quittons les lieux en bordant une magnifique galerie aux piliers toujours lisses (800 ans après) et où se croisent les gigantesques tentacules des racines de fromagers. Seulement, Ta Prhom est bien plus grand qu’il n’y paraît et cette jungle, qui n’en finit pas, nous enserre et nous perd.

17:14 : Sauvés par Septké !

19:00 : Retour à l’hôtel, assommés et épuisés, jambes coupées…

20:24 : Retour sur Pub Street, affamés et assoiffés…

21:12 : Confirmation : ce sont bien les gargotes de trottoirs qui payent pas de mine où l’on mange le mieux.

21:20 : Impossible de faire dix mètres sans qu’une horde de jeunes filles (et / ou de Lady Boys) ne nous alpague pour nous proposer des massages en tout genres. A ce propos : essayez le fish-massage (de gros poissons qui vous bectent les peaux mortes), ça chatouille un peu au début mais on prend vite son pied.

21:30 : Nous gagnons le marché de nuit en traversant l’un des petits ponts qui enjambent la rivière Tonlé, sur laquelle flottent des lanternes entourées de néons ; la réverbération dans l’eau est magnifique. Un vieux pirate sur le retour, blond aux yeux gris, est assis sur un banc au milieu du pont. Avec sa guitare, il chante Three Little Birds aux passants. On prend tout notre temps. Un peu plus loin, un jeune Khmer a improvisé un night club à même la rue, avec ses platines. Ça mixe pas mal. L’ambiance est délicieuse et nous nous mêlons aux badauds, pour quelques pas de danse…

23:01 : Tù-le-Tùk-Tùk-Fou (notre chauffeur du soir) nous attends à l’endroit prévu. Sax le soupçonne d’être fort bourré, ce qui tombe mal étant donné que je viens de lui offrir une bière. Tù la partage avec nous. De toute façon, Tù ne regarde pas non plus la route lorsqu’il est sobre et prétend que « l’alcool l’aide à mieux se pencher dans les virages ».

23:32 : Nous sommes couchés, enfin ! Chacun dans sa piaule, au frais.

23:50 : J’ai quand même l’impression qu’il fait quarante degrés.

00:01 : Cinquième clope dans ma piaule. J’espère que Sax dort mieux que moi, et n’est pas dérangé par les quatre Russes qui picolent et braillent comme des chèvres autour de la piscine.

00:17 : Huitième cigarette. J’ n’écris plus une ligne. Je veux dormir. Et puis ces Russes… Je sens que je vais rêver en slave.

00:45 : Un hurlement soudain, à réveiller tout le quartier ; la voix de Sax :

– « Non mais ils vont bientôt arrêter leur brocante, bordel de chiottes en bois ? »

Je bondis du lit et me précipite, en caleçon, vers la piscine. J’y retrouve Sax-Furibard et son mètre quatre-vingt-quinze déplié, face aux deux couples russes qui, étonnement, baissent le volume.

– « Merci beaucoup », leur gueule Sax sur un ton des plus aimables.

00:57 : A y est. Ai trouvé comment fonctionne la clim’…