Doc’ a 69 ans. Il est chauve, maigre comme un clou, les yeux constamment cerclés de petites lunettes rondes et n’aime que les bêtes. A trente ans, il combattait les braconniers d’Afrique au côté de Dian Fossey. Je l’ai rencontré au Gabon ; il y travaillait sur des gorilles et des troupeaux d’éléphants. Aujourd’hui, Doc’ bosse à mi-temps dans une réserve du sud de la France. Le reste de l’année, il s’occupe d’animaux plus sauvages. On s’est donné rendez-vous dans sa cabane de surveillance, en périphérie de la réserve.

Doc’ nous accueille chaleureusement, nous présentant le parc à « écotouristes » dans lequel se promènent des bisons, des cerfs, des loups, des lynx… Son job : les surveiller tous à la jumelle et prévenir les blessures et autres problèmes. Sa boîte : « une bande d’écolos bobos qui se battent pour protéger ces animaux ». Nous sommes impressionnés et lui présentons notre prochain objectif, à quelques pas de la réserve :

– Vous voulez planquer un trésor là-bas ?
– On n’a pas dit qu’on allait le faire, prévient l’un.
– On a dit qu’on allait étudier l’endroit, corrige l’autre.

Doc’ se marre – sans nous dire pourquoi. L’idée semble lui plaire et il propose de nous y emmener. Lui connaît la zone mieux que nous. On embarque dans son 4×4. Doc’ lance un CD de Céline Dion. Quinze minutes d’enfer plus tard, on se gare, au pied d’une petite montagne. Doc’ part devant. Sa patte raide traîne derrière. Sa blessure date des années 90, au Gabon. Doc’ s’était approché un peu trop près d’un gorille. Ce dernier l’a attrapé par la cuisse avec les dents et renvoyé dans ses 22 mètres, avant de recracher le morceau de cuisse en s’en allant. Le premier hosto était à 17 heures de route. Doc’ s’est recousu la cuisse tout seul, puis a conduit 17 heures… Depuis, il boîte un peu. Pour la petite histoire, c’est ce même gorille qui, un an plus tard, se présenta un soir, apparemment furibard, devant la cabane du Doc’. Craignant que la bête ne le tue, Doc’ avait fui. Le lendemain, il avait retrouvé sa case ratiboisée, un troupeau d’éléphants l’avait rasée dans la nuit. Comme quoi, les gorilles…

Nous arpentons le sentier abrupt de la montagne. Au sommet, l’objectif secret dont nous lui avions parlé. Doc’ se marre toujours et préfère nous présenter l’immensité de « sa » réserve naturelle, qui s’étend sous nos yeux. C’est impressionnant, mais ce qui nous intéresse plus, ce sont les vestiges à nos pieds. Doc’ insiste, indiquant du doigt les zones où vivent les espèces. On ne l’écoute plus vraiment, trop concentrés par nos recherches. Doc’ rigole toujours et achève son exposé par la zone des loups.

– C’est juste là, dit-il en montrant la clôture à 500 mètres du 4×4.

On s’interrompt une minute,

– T’essaye de nous dire quelque chose, pas vrai ?

Doc’ nous sourit avec tendresse :

– Les loups attirent les loups, les mecs. Vous êtes sur un territoire de loups.

Bonne chasse, camarades.