Nous faisions un nouveau « tour de Gaule » quand nous sommes tombés en panne, près de la frontière allemande. Ça s’est passé sur l’autoroute – à quoi bon, sinon. On a poussé jusqu’au garagiste le plus proche, lequel a évoqué un problème de « filtre à particules ». La tire pouvait être prête pour le lendemain. On était à pieds.

Jusqu’ici, tout va bien !

Le prochain objectif, « l’école des sorcières », se trouvait à 12 kilomètres. Nous sommes passés par quelques bourgs, coupant à travers champs, nous fiant aux smartphones, l’essentiel du barda sur le dos. Arrivés dans la première ville, nous sommes passés par une épicerie pour nous ravitailler. Bonny (le clebs) attendait sagement devant l’entrée. L’établissement était tenu par deux dames de 70 balais bien passés, sourires à l’envers, avec des gueules de « mamies flingueuses », aussi aimables qu’un taulard au mitard !

– Tu crois qu’elles sont sèches pour se faire respecter ?
– Oh j’suis sûr qu’elles ont un fusil sous la caisse.

On a payé. On est sortis. « Au revoir », « merci » et pas de réponse. Mais nous n’avions pas fait 2 mètres que les Mamies-tapes-durs nous rappelaient, un immense sourire aux lèvres. Elles n’avaient pas vu le chien. Et apparemment, avec les vieilles, un chien, ça change tout. Après un bon quart d’heure de caresses, « Tient-la-caisse » & « Passe-moi-l’flingue » (on les a surnommées ainsi) changèrent de regard sur nous, nous faisant passer (en gros) de vagabonds au statut de voyageurs. La chasse aux trésors de Levasseur les fascina : sans qu’on ait eu le temps de réagir, 10 minutes plus tard, elles fermaient le commerce pour nous faire du thé et écouter nos aventures. Lorsque nous dévoilâmes notre prochaine destination, l’une d’elle lança :

– Tiens, ça fait longtemps que nous ne nous y sommes pas rendues, à l’école des sorcières…
– On vous emmène ? lança l’autre avec joie.

Moment de doutes.

– Avec plaisir.

Jusqu’ici, tout va bien !

blog-ecolesorcieres2Nous voilà partis dans une vieille R12, à 4 plus le chien, assis derrière Mireille & Lisbeth –c’étaient leurs noms. Les deux dames ne pipent pas un mot de tout le trajet. Ambiance. Arrivés sur place, nous découvrons enfin et pour de vrai, l’école des sorcières. C’est un bassin de cinq mètres de diamètre, avec une profondeur de moins d’un mètre, creusé par les Celtes pour honorer les dieux. Une légende locale raconte qu’une fois par semaine, les sorcières se réunissaient autour de leur doyenne, qui y sacrifiait des animaux. Le sang des sacrifices remplissait le bassin, dans lequel toutes devaient se baigner.

Jusqu’ici, tout va bien !

Plus loin au nord se trouvent les ruines d’un châtelet, si bien caché qu’il ne fut découvert que récemment. On se perd dans ce dédale de roches camouflées par la forêt dense. Mireille & Lisbeth ont disparu. Je suis Bonny, qui cherche Sax, qui ne répond pas au talkie-walkie. L’air semble manquer. L’ambiance est électrique, pesante et angoissante.

Plus de réseau. Les talkies grésillent. Y’a de l’interférence !

Contournant les éboulements de pierres, je retrouve Sax, totalement paumé lui aussi.

– C’est quoi cet endroit ?
– Aucune idée.
– Elles sont passées où, les copines ?
– Justement ; j’ les croyais avec toi.

Nous retrouvons notre chemin, tant bien que mal, revenant à l’école des sorcières par un autre côté. Là, nous trouvons une gigantesque grotte, sous la cuve des sacrifices. Il y a des restes de poutres, de portes, de murs décorés et un sarcophage, taillé dans la roche. Droit devant nous : Mirelle & Lisbeth, assises sur une grosse pierre, nous regardent. Nous approchons, un peu surpris, jusqu’à découvrir qu’il ne s’agit pas d’une simple roche : elle a été taillée pour prendre la forme… d’un trône. Les deux dames nous sourient. Sax murmure :

– C’ n’est pas à ce moment-là qu’on s’ casse ?
– On est à pied…
– Ah oui, merde.

Mireille nous tend la main. Souriante, elle saisit mon bras et dépose délicatement mes doigts sur la pierre, me demandant si je sens la vie qui palpite à l’intérieur. Je ne sens rien. Mais Michel-Ange aussi, parlait de ceci. Je fais ‘oui’ de la tête. Sax se marre dans sa barbe. Je crois que le chien aussi, se fout de moi. Amusées, les deux dames nous proposent de rentrer, l’hospitalité à la clef. On accepte le « lift », on décline le pajot : on a des hamacs. Ce soir, on dort à la belle. Et demain, on repart.

Sorcières ou épicières, quand tout se met à déconner, c’est qu’il faut se barrer !

Bonne chasse, camarades.