Jour 15

13:57 : Etang de Thau : bassin de 7 hectares. Conditions : petite mer. A la différence qu’il faut suivre un balisage pourri, espacé de plusieurs kilomètres et pas bien visible à la jumelle. Si on s’écarte du chenal, on termine dans l’un des parcs à huîtres géants de l’étang. Sax et moi faisons vigies : jumelles vissées aux yeux. Le « pitaine » a la barre.

14:08 : Le capitaine s’inquiète de ne pas avoir vu de bornes depuis un moment. Nous aussi.

14:11 : Chenal repéré sur bâbord. Panique à bord. Cartes. Compas. Rapporteur. Et virement de barre immédiat : 45 degrés bâbord. Distance : 2 kilomètres… La coque ne semble rien accrocher. On a eu chaud.

17:03 : L’entrée sur le Rhône s’est faite sans problème. Mais on plafonne à 5 nœuds. La faute à tous les fleuves, toutes les rivières et toutes les neiges qui déboulent en amont. Ça tape dur.

Jour 16

17:20 : Au beau milieu d’un bièvre de 150 kilomètres, sans aucun arbre pour s’amarrer et le long de berges faites de cailloux, le tableau de bord s’est mis à siffler : un bip strident. Cap’tain Sam avait déjà le nez dans la gouttière du liquide de refroidissement. Elle était vide. D’un coup, le thermomètre affichait près de 100°.

Le « pitaine » coupe les moteurs aussi sec, dérivant lentement vers la rocaille :

– Amarrez sur tribord, les branleurs !
– A quoi capitaine ? Y’a qu’ des cailloux.
– Démerdez-vous !

17:33 : Je me suis vautré dans la vase marécageuse, Sax à l’amarre, moi à la manille. On a planté des piquets. Et capitaine Sam est sortit sur le pont pour nous rassurer :

– Les z’enfants… cette fois c’est la merde.

19:00 : Dîner morose. On picole. Le système de refroidissement de ces vieux moteurs est un keep cooling : l’eau passe dans un circuit fermé sous la coque, se refroidissant grâce à l’eau derrière la coque, avant de venir rafraichir le moteur. Si on cogne contre un récif ou quoi que ce soit d’autre (comme nous le redoutions sur l’étang de Thau), le système est HS et une fuite peut… nous faire couler.

20:00 :

« Les bateaux apprennent deux choses : avoir confiance en soi et avoir un foie. »

Le capitaine

23:00 : On est un peu ivres tout de même. Le capitaine en a profité pour nous faire passer par toutes les fenêtres, écoutilles ou hublots du bateau, « juste histoire de nous prouver que nous pouvions passer par là, si besoin ».

– « Si besoin », on est d’accord, ça veut dire « si on coule » ?
– J’ai coulé pendant mon sommeil, une fois, reprit le « pitaine ». Le danger, c’est pas la flotte ; le danger, c’est de paniquer. Alors on s’ détend.

23:09 : Etonnement, ça ne nous angoisse pas plus que ça. L’alcool, peut-être.

23:11 : En fait, je le dirais pas devant le « pitaine », mais c’est cool de se dire qu’on va peut-être couler pour de vrai.

23:12 : Sauf qu’on ne coule pas pour l’instant. Sax veut que j’éteigne la lumière.

Jour 17

07:10 : On a été réveillé à l’aube par le « pitaine » qui bricolait dans la soute. Il a modifié la pompe sous-marine : au revoir keep cooling. Dorénavant, tout le système de refroidissement passera par le gros tuyau jaune, de la baille au moteur !

07:31 : Le moteur tourne. La sirène ne siffle pas. Température 22°. Ça devrait monter lentement à 41. Impeccable.

08:26 : Mission cambuse. 7 kilomètres à pied vers Aigues-Mortes (un coin sympa, prisé par un certain Louis, moyennement apprécié par le guide du routard Templier). Même si, depuis quelques jours, notre chasse aux trésors est la proie d’une succession d’emmerdements techniques, on ne peut passer à côté d’Aigues-Mortes sans y aller…

10:11 : Vin, clopes, œufs, vodka, pattes, riz, whisky et vin. Nous y ajoutons des packs d’eau et de coca. On s’attable autour d’une bière, à l’abri des remparts, au cœur d’une cité d’Histoire.

10:15 : Après le trajet retour, épuisés parce que chargés comme des mulets, nous avons déchargé le tout devant le capitaine. Et devant les 12 bouteilles d’eau, il a explosé de rire :

– On a pas besoin d’autant, les z’enfants !
– Faut qu’on s’hydrate, capitaine.

Il a saisi une bouteille de whisky, a bu au goulot et nous l’a tendue :

– La flotte sur un bord, c’est pour faire la bouffe. L’alcool, c’est pour s’hydrater !

Moi qui pensait qu’on allait lever le pied.

11:22 : Le moteur ronronne comme un chat et monte à 41°. Désamarrage. On repart. En chantant ! (le moral, c’est important.)

19:48 : Douche toujours interdite. Eau rationnée. Avons oublié d’acheter un tire-bouchon. Apprenons à déboucher une bouteille de vin avec un tournevis. Sommes amarrés à 15 kilomètres d’une grande porte de crues, sur une berge plus que déserte. Il pleut. Ça souffle. Au loin, on croit voir des orages dessiner furtivement le trait de leurs éclairs…

Bonne chasse, camarades.