Jour 11

13:00 : Retour de ravitaillement et d’excursion. A midi, les écluses ferment sur le canal. Pause dans un restau sur berge, à 400 mètres d’une écluse. En face, un moulin de 1688. Au programme : escalade ; barbelés ; et recherches de caches dedans, dessous et aux abords… Nous nous y sommes promenés, GoPro aux torses. C’est malheureusement devenu un squat menaçant de s’écrouler…

14:00 : Retour à bord.

14:11 : Depuis deux jours, entre 5 et 8 nœuds, l’accélération se fait au pied ou par un système de cordelette, reliée à la commande des gaz en soute. Epique !

14:19 : Ecluse ! Sans aller jusqu’à dire qu’on devient bons, on prend le pli.

16:00 : Panne moteur :

– Les z’enfants ? hurle le cap’taine.
– Aux platanes, ouais on sait !

16:01 : En dérivant lentement vers la berge, Sax et moi nous mordons les lèvres :

– Je t’avais dis de pas surnommer le bateau comme ça.
– La Bounty ?
– Mais arrête, bordel… Ca porte malheur j’te dis.
– J’y crois pas.

16:29 : Au beau milieu d’un bièvre de 350 km, nous sommes seuls !

16:43 : Le verdict est plus sévère. Système D ou pas, la manette des gaz ne répond plus. En cale, un filet d’huile suinte en permanence le long du bloc moteur. Le « pitaine » est furieux. Nous, on ne moufte pas et lampes de poches au front, on cherche un moyen de dévisser cette foutue membrane (pour accéder à la manette des gaz), retenue par des foutus boulons anglais, nécessitant une clefs très spécifique qu’évidemment… on n’a pas.

18:00 : Pause pinard et charcuterie, en sueurs, le bloc moteur intact, la commande de gaz toujours bloquée. Le « pitaine » redoute un problème avec le système de refroidissement ou le système d’eau du navire. « Une fuite de la cuve d’eau aurait pu gripper la manette, lance-t-il, perplexe, sa gitane aux lèvres. Ça expliquerait tout ! »

18:01 : Pour nous, rien n’explique rien. Le capitaine bricole des trucs dans son coin, avec sceaux d’eau, tuyaux, serflex et gros câbles…

21:51 : Boulons dévissés. Dissection du bloc moteur de nuit…

22:02 : C’est pas le moment de perdre un boulon, moi j’ vous l’ dis : je crois qu’on a dû voir passer personne depuis 16h…

22:08 : Bière en main, tête en soute, le « pitaine » annonce : « c’est la pompe de dépression qui a lâché ».

22:14 : Cap’tain Sam est très zen mais il enchaîne les gitanes en se demandant « où il va bien pouvoir trouver une pompe de secours ».

– Bon, les z’enfants ; on va arracher les pompes du chauffage et de la douche pour comparer !

23:50 : Evidemment : aucune ne correspond. Maintenant, c’est officiel : on n’a plus d’eau. Du tout. Le « pitaine » s’en moque.

01:33 : Le capitaine nous a servi des shots de vodka. Je n’avais pas été aussi rond depuis le CM1. Demain, nous irons au village le plus proche, à 7 kilomètres, pour ravitailler et chercher de l’aide.

Jour 12

09:11 : Le « village le plus proche » s’est avéré être un lieu-dit avec… neuf habitants.

10:26 : Quelques kilomètres plus loin, en suivant le chemin indiqué par un grand-père, se trouve un bled un peu plus grand (50 habitants). On y arrive.

10:27 : Ah oui mais j’avais oublié, aujourd’hui, en plus, c’est dimanche.

11:00 : Plutôt timides, les 50 habitants. Mais on trouve un agriculteur qui cherche les bons outils dans son 4×4 – en vain. Il nous indique un ferrailleur, 2 kilomètres plus loin.

11:20 : Le ferrailleur nous a indiqué un campement de gitans. On va au campement de gitans. Même si on ne sait pas trop pourquoi.

11 :47 : Alors en fait, le campement, c’était pour rencontrer un très vieux monsieur qui lui, savait où vit l’ancien mécanicien Renault du coin – véridique : à 4 kilomètres ! C’est en train de devenir Koh-Lanta, c’ t’histoire…

14:00 : Nous sommes sur le retour… Après 5 kilomètres supplémentaires entre l’ex mécano Renault (qui n’avait pas la pièce) et un garagiste LeBoat (société de location de bateaux sans permis) qui n’avait pas la bonne pompe…

15:00 : A force de marcher, nous avons retrouvé la civilisation, donc internet. Ce qui est heureux, parce que sans moteur qui marche à bord, nous n’aurons bientôt plus de batterie. Il est urgent de trouver le bon endroit où acheter la bonne pompe.

Je sors mon smartphone : 9% de batterie. Sax brandit le sien : 4%. On se précipite sur Google avec la dextérité et la nervosité de deux cow-boys perdus à Ok Corral.

20:12 : « Bah… C’était un dimanche de merde, les z’enfants ! »

C’est ce qu’a dit le capitaine en nous voyant rentrer. Evidemment, on n’a rien trouvé. Evidemment, nos téléphones sont aussi HS.

Jour 13

10:00 : Nous sommes dans un train, grâce au « Dieu Google », qui nous a donné l’adresse d’un magasin de pièces autos pour Range Rover lesquels, justement, utilisent les mêmes pompes en rallye !

11:00 : Montpellier Terminus. Pas un bruit pendant deux semaines. Et vlan, une foule dans les dents. Les gens parlent incroyablement forts.

14:47 : On a la bonne pompe. En double – on ne sait jamais. Premier essai : Sax et le « pitaine » sont en soute, les mains sur le bloc moteur, le nez sur la pompe. Moi, en salle des batteries : fil vert, fil rouge, de la pompe au 24V. Et là, au moment de brancher, j’entends le capitaine répéter, dubitatif ; « 24 volts ? »

Etincelles. La pompe s’élance, tourne, vibrionne, siffle de plus en plus fort, prête à décoller et POUF ! Petite fumée noire en soute. Derrière le bloc moteur, le capitaine relève lentement la tête avec, sur les yeux, ses deux culs de bouteilles noircis par la petite explosion de la pompe. Je viens de comprendre qu’il avait dit « Sur le 12 volts ; pas le 24 »…

14:52 : J’ai manqué de passer par dessus bord avec un coup de pied au cul !

14:59 : Sax est toujours hilare. Le capitaine, furibard ! Heureusement qu’on a une pompe de secours. Je suis un peu exclu de la réinstallation : j’épluche les patates.

15:30 : La nouvelle pompe de dépression pour Range Rover fait des merveilles sur la Bounty. Le moteur repart au quart de tour et on peut de nouveau accélérer avec la manette des gaz, au pied ou à la ficelle !

– « Les z’enfants ? lance le capitaine. Nous repartons ! »

15:46 : On a redémarré. On est repartis. On a fait 5km. Et on a tous cru que le moteur avait explosé.

23:57 : Amarrés à la va-vite. Stop. A 5 ou 6 kilomètres d’un petit port. Stop. Moral de l’équipage en berne. Stop. Suspect du soir : le système de refroidissement. Stop. Outils étalés partout. Stop. Toilette effectuée avec des seaux d’eau. Stop. Devons refroidir moteur en pompant l’eau du canal. Stop. On se pose plein de questions. Stop.

Bonne chasse, camarades.