C’est un parc ; un domaine ouvert à tous dont je tairai le nom. Pas parce qu’on y a caché un crâne mais parce qu’on aurait pu, si certaines découvertes tardives ne nous en avaient détournés. Pas non plus pour vous défier ; certains réclame(ro)nt des réponses précises (« lire utile »), d’autres ont (auront) simplement envie de jouer.

Depuis Napoléon III, une partie du domaine est privée, apparemment totalement abandonnée. Adolescents, c’est dans ce bois enclavé redevenu sauvage qu’avec une bande d’amis, nous faisions d’interminables fêtes autour d’un feu. Bien sûr, c’était (déjà) interdit. Mais puisqu’il n’y avait jamais personne ? Et si la partie publique, avec ses arbres centenaires, s’orne d’élégantes statues, de somptueux bassins et autres fontaines ; la partie fermée elle, est immense, sans demeure ni occupant, sans sécurité, à ma connaissance. En revanche, elle offre des balades improbables dans des parties de forêts où les branchages s’emmêlent sous les jets de lunes, dans une ambiance à la Tim Burton. Elle offre des aventures sur les sentiers perdus de ces jeunes instants. Elle offre des points de vues absolument époustouflants sur la voûte céleste et les collines, sur les vallons et des villes, scintillantes dans la nuit…

Il suffisait d’escalader un arbre à l’extérieur du mur d’enceinte, de glisser entre les branches, avant de prendre appuis sur la rocaille et de basculer. Rien n’a changé.

Seulement entre temps ; y’a eu l’ progrès !

« Le progrès, disait mon père , c’est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe. »

Sax et moi étions devant le mur à 03:00, comme prévu. Généralement, nous cataloguons les zones possibles en 2 parties : les zones simples et les zones compliquées. Les zones compliquées peuvent l’être pour différentes raisons ; proximités d’habitations, passage de riverains, difficultés d’accès… Bref, tout ce qui peut gêner une fois sur place, la solution de l’énigme dans une main et une pelle, une bêche ou un tuba dans l’autre.

Si nous avons estimé l’objectif compliqué, nous ne nous y rendons qu’après minuit, par sécurité. En revanche, si l’endroit est plus désert qu’un programme électoral, on fonce !

L’arbre. Le mur. Rien n’a changé. Sax passe par dessus bord. Moi aussi. Nous sautons à pieds joints et roulons dans les feuilles quand soudain : FLASH ! 

 NOM DE DIOU ! 

Une lumière. Forte et aveuglante. Des spots. Des dizaines de spots. Accrochés aux murs, un peu partout avec dessous, des détecteurs de mouvements. Nous nous collons contre le mur, juste sous les projecteurs. A l’aide d’une mag-light, nous inspectons les détecteurs de mouvements afin de nous assurer qu’il ne traîne pas de caméra quelque part…

–  Ça à l’air cool ?
–  Ça aurait été cool si on avait fait un repérage, bordel !
–  C’est ce que je t’avais dis.
–  Non, c’est ce que moi je t’avais dis.

Les lumières s’éteignent.

–  Bon. On bouge ou on prend racine ?
–  Longe les murs. Que ça s’ rallume pas leur machin ; j’y vois plus rien.
–  Ça commence pas terrible…

Nous décampons à la vitesse d’un taulard obligé de longer les murs pour s’évader. Et je pense à Elie Wallach, courant dans Sad Hill, l’œil perdu, narines retroussées.
Cent douze pas plus loin, en longeant ce mur plein Est, une épaisse broussaille commence à empêcher l’installation d’autres dispositifs démoniaques. La machette est restée dans le coffre de la voiture. Qu’à cela ne tienne : on poursuit la route sans dévier de cap, tant bien que mal – de peur que les détecteurs de mouvements ne soient reliés à une alarme. Le wifi, ça fait des miracles.

Bien éloignés des mouchards, nous remontons tranquillement vers le terre-plein le plus proche. Direction plein Nord, vers « la piscine des chiens ». Avant de comprendre que l’endroit était devenu plus sécurisé que le commissariat de mon quartier, on se demandait si, derrière leurs gueules enragées ne se cachaient pas quelques grilles « ouvertes » ; afin de pénétrer le système des jeux d’eaux, l’admirer, l’observer et qui sait ?…

Pas d’aigreur d’estomac. Nous n’arriverons pas jusque-là. Du moins, pas cette fois. 

En longeant silencieusement le grand parterre sans arbres, nos craintes se confirment : derrière le bruit des feuilles, celui d’un moteur. On se retourne dans tous les sens. Aucun éclat. Aucune lumière. Ces salauds ne mettent pas de gyrophare. Ce n’est pas la police ; c’est un « type de la sécurité ». Donc il y a des « types de la sécurité ». Donc tout a changé !

Le moteur se rapproche. En plein milieu du terre-plein – comme des cons ! – on se jette à terre. Des phares s’allument. Ils balayent le terre-plein dans un virage. La voiture ne s’arrête pas. Elle ne nous éclaire plus. Elle roule autour de nous. Doucement. Tout doucement. Au milieu, immobiles, nous sommes ses proies. Et on attend. Patiemment.

–  Ça, ça c’est tordu, tu vois ?
–  Ouais, on avait dit « pas tordu ».
–  Là, ça va pas le faire ; c’est l’exemple type de ce qui ne va pas le faire du tout !
– Ouaip’ ; le contre-exemple ! Mais attend ; j’ prend des notes.
–  ‘Manquerait plus qu’ils aient des chiens…

La voiture semble repartir Sud-Ouest, vers le mur où se sont allumés les projecteurs. Il y a une route qui mène à ce sentier de nos jeunes années. L’agent de sécurité va sans doute vérifier si on ne serait pas figés quand les spots se sont allumés. Sax et moi en profitons.

–  On se casse d’ici.
–  Par où ?
–  Putain, oui. Du coup ?

Nous ne connaissons que « le mur de l’arbre » pour glisser dans cette partie du domaine. Or « Sécu-Man » y est. On dévale la pente Nord-Est – opposée – pour se terrer dans la broussaille. On saute par dessus des buissons. On retrouve un sentier. Une route. Sauvés.

J’allume mon iPhone (trichons pas : les loulous dans not’ genre étaient là avant le progrès, on s’est juste adaptés). On se redirige. Une petite route menant au Nord, parallèle à la voie principale. Peu de chance qu’on recroise notre ami par ici. Mais au cas où, on marche l’un derrière l’autre, en bordure de forêt et en silence. Au moindre bruit, on s’arrête. On écoute. On observe. On se cache. On ne bouge pas. On ne fait rien bouger autour de nous. On n’est pas des délinquants. Mais la nuit au poste ne nous tente pas non plus.

Quelques frayeurs et beaucoup de « parano » pour rien plus tard, nous arrivons à la première piscine, qui était sensée être la première étape nous menant au bassin des chiens galeux. Pour rejoindre la première piscine, il faut respirer 3 fois :
d’abord, courir sur les bordures pour continuer de longer les arbres ; ne pas rester dans le terre-plein descendant, à nu et en vue d’un parking où nous découvrons un véhicule de sécurité arrêté.

– Là aussi, c’est normal ? Le type qui fume sa clope en rangers à 300m de l’objectif ?
– Non, là, c’est… Heu… Tu veux faire demi-tour ?

On repense à Sécu-Man Ier du nom. Nous poursuivons.

Ensuite, il faut passer un restau qui ferme à 22:15 mais qui, occasionnellement, organise des évènements. Selon son site, ce soir c’est peinard.
Enfin, en bas du terre-plein, il faut éviter de couper à travers bois sur Est- Nord-Est car le parking (coin fumeur pour vigiles, donc) en est vraiment proche.

On arrive à la première piscine en logeant la partie boisée. A la lueur de la lune, nous observons le vigile qui finit son mégot. Il rentre dans son véhicule, rallume le moteur et ne bouge pas. On traverse – au galop – pour terminer à l’abri d’une grande statue en croix, que nous contournons. Nous demeurons dans l’angle mort et arrivons à la première piscine, en sueur.

–  J’ai une question.
–  Ouaip.
–  On a dit qu’on lâchait l’affaire ?
–  Ouaip.
–  Donc qu’est-ce qu’on fout encore ici ? J’ veux dire : le retour, ça s’envisage !

ABOIEMENTS ! 

Nous nous regardons, ahuris : donc « les emmerdes, ça vole vraiment en escadrille ».

On s’arrache à toute volée.

C’était déjà pas simple ; c’est devenu stupide. On trouvera meilleur endroit ; la logique est là. Vous pensiez quoi ? Qu’Olivier Levasseur était tombé sur 4 milliards 5 par hasard, avec sa belle gueule et son grand nez ? Ou qu’il avait un plan ?…

Bonne chasse, camarades.