Dernier détour par la cité des corsaires. Les gigantesques écluses séparant la nouvelle de la vieille ville rappellent que la cité des corsaires n’a pas d’âge : ici, le temps s’arrête et toute l’Histoire s’emmêle.

Les pieds dans le sable, adossés aux remparts de la vieille ville, nos regards se perdent sur la côte d’Emeraude. Pour quelques fortifications stratégiques et un point de vue sur la mer, Saint-Malo cristallisa longtemps les conflits opposant la France à la Bretagne – jusqu’à ce que le duché ne devienne définitivement français, en 1493.

Nous nous évadons sur la plage de grand Bé à marée basse, dévorant du regard le fort National et celui de petit Bé, que j’appelle fort Vauban, parce qu’il me fait penser à fort Nassau. Mais en parler serait prématuré. D’ici, les dix-neuf canons français devaient sacrément bien tonner, pour accompagner le départ d’illustres capitaines ou recevoir l’incruste d’irrépressibles envahisseurs…

D’ici et à partir du XVIIème siècle, les Malouins échangeaient avec le monde, poussant les échanges commerciaux jusqu’en Chine. Et ce grâce à Jacques Cartier, Gouin de Beauchesne, Mahé de la Bourdonnais, Maupertuis, Duguay-Trouin et… Surcouf.

Nous quittons la plage, l’écume de la prochaine marée sur nos talons, prenant le cap de la cité d’Aleth, ancienne capitale celte, fort défensif de la cité des corsaires. Un point de vue imprenable sur toute la mer celtique. Un point haut depuis lequel les Buses tracent des caps, observent le monde, l’étudiant pour mieux l’appréhender, l’anticiper… Retranchés dans l’immense complexe souterrain d’Aleth, les Nazis finiront par se rendre, rendus sourds par un bombardement musclé et continu dont les stigmates glacent le sang.

Plus bas se révèle la tour Solidor, donjon construit par un duc en 1369, alors que Saint-Malo se rebellait contre lui. Deux cents ans plus tard, les malouins s’en emparaient par les armes. Deux cents ans de plus, et la Tour devint une prison… Aujourd’hui, elle abrite le musée des cap-horniers ! D’ici, on est en tête à tête avec une mouette et face à face avec la Vierge de Bizeux, de trois quart dos au grand cap des chercheurs de trésors, presque aussi précisément que le capitaine… Grands enfants, nous jouons sur les rochers du donjon, croisons des mots laissés pour l’éternité, ainsi qu’une veuve, digne plus qu’éplorée, une rose à la main, le ventre gros et deux parents près d’elle, au bord de l’eau.

On abandonne bientôt la cité et ses secrets, pour gagner une belle forêt où bivouaquer. Nous finirons par trouver l’endroit parfait, accueillis par un concerto enchanteur d’oiseaux invisibles et hauts perchés. Avant notre repos, nous devons faire un crochet. Le premier que l’on partage avec l’équipage : pas le dernier. Cimetière de Rocabay, cap Sud, une tombe exposée plein Ouest, pleine mer. Sur la stèle, ces mots :

« Un célèbre marin a fini sa carrière.
Il est dans le tombeau pour jamais endormi.
Les matelots sont privés de leur père.
Les malheureux ont perdu leur ami. »

À la santé du capitaine.

Bonne chasse, camarades.